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L'AFFAIRE MARIA LANI

Le carnet de l'enquête sur Maria Lani
Couverture de l'affaire Maria Lani par jacques Bravo et François Pedron

L’affaire Maria Lani

Elle fait l’événement, ce printemps 1929.

Tous les journaux en parlent, Paris-Midi aux noctambules qui viennent de sortir du lit, Paris-Soir à ses deux millions de lecteurs, Comoedia et la presse spécialisée, Vu et Vogue les hebdos photos luxueux.. 

Pourtant on ne sait rien d’elle. Elle vient de  débarquer à Paris,  encadrée de deux hommes portant beau, son mari et son agent. Elle est vendue à la presse comme une célèbre actrice allemande. Elle fonctionne comme une Garbo ou une Dietrich. Robes, fourrures, dîners mondains, spectacles, elle ferait les JT aujourd’hui et la couverture de Paris-Match. 

Actrice de quels films ? personne n’a l’outrecuidance de poser la question. L’adage est toujours valable «  a beau mentir qui vient de loin ».  

Sans doute pour crédibiliser le conte, elle repart pendant des mois comme si elle était réclamée sur les plateaux de tournage. Elle fera deux saisons à Paris. Devient la nouvelle reine de Montparnasse que le triomphe de la Coupole ( inaugurée le 20.12.1927) rend encore plus spectaculaire : Montparnasse est le centre du monde.

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Ce sont les plus folles des années folles jusqu’à la crise de 1929 (septembre noir !) qui mettra deux ans à traverser l’Atlantique. Paris fait la fête tous les soirs. Pas une nuit sans la splendide Maria Lani. Elle est sponsorisée sur sa seule belle mine et l’efficacité de ses deux protecteurs. Personne n’enquête, on gobe le récit de son agent.

Les peintres repérés la connaissent donc bien avant d’être sollicités. C’est l’effet du teasing..

Séances de pose, à l’hôtel ? chez l’artiste ? Ce qui est plus probable surtout pour les sculpteurs comme Bourdelle, Chana Orloff, Despiau. 

Dès que le tableau est fini le photographe l’emporte quelques heures pour le photographier et le rapporte. 51 fois. Waldemar George et Jean Cocteau contrôlent l’opération. Ils en font un « collector » et un livre.

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Sur le Quai Malaquais, l’été 2004, à la recherche de documents pour écrire une biographie du poète et peintre Max Jacob, François Pédron découvre un surprenant portfolio. Une femme inconnue... Célébrée par les plus grands peintres. Des portraits jamais vu dans les musées  ni dans les catalogues.

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Henri, le bouquiniste que François interroge, est ravi que l’ ouvrage qui traîne dans sa boîte depuis des années, intéresse enfin un lecteur. «Origine inconnue. Le nom de Cocteau, dont je suis un spécialiste, m’avait attiré. C’est tout.»

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Le hasard devient vite une  obsession. François étudie les portraits,recherche dans les  biographies des artistes la trace de  ce modèle. Après vérifications, pas un mot sur cette jeune femme, alors que tous les modèles, à l’instar de Kiki de Montparnasse, sont très présents dans les chroniques et les articles de presse.

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Les livres sont muets et l’histoire rebondit avec la lecture du numéro 262 de Paris Match daté du 3 avril 1954, qui consacre une page à la disparition d’une certaine Maria Lani.

L’enquête commence

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Et voici les 51 portraits de Maria Lani 

Cette somptueuse galerie vivante devient un livre d’art publié aux éditions Les quatre chemins, rue Godot de Mauroy, préfacé par Cocteau, argumenté par Waldemar George le critique qui fait autorité et un certain Marc Ramo. Totalement inconnu des lecteurs puisqu’il n’existe pas, c’est Abramovicz le mari de Maria, qui signera aussi des critiques sous le nom de Maximilian Ilyin. 

Publier, c’est prouver. Maria est forcément une star puisqu’on lui consacre un portfolio. 

Evénement dont prend acte "Pour vous cinéma", chantre de l’art, le septième. 

Ramo distillera quelques infos à des journalistes américains pour faire plus vrai et augmenter la surface médiatique. 

Par exemple, cette séance dans un bistrot avec Matisse qui crayonne quelques esquisses sur le guéridon, entre deux verres de vin, avant de faire la toile dans son atelier. 

Le serveur effacera d’un coup de torchon les dessins préparatoires. 

Problème, Matisse n’a jamais fait le portrait sur toile. Et s’est contenté de deux dessins…

L'enquête commence au musée Bourdelle

Le musée Bourdelle à Paris

Paris, Rue Antoine Bourdelle.

Le "Centaure mourant" au musée Bourdelle à Paris

Emile-Antoine Bourdelle naît à Montauban le 30 octobre 1861. 

Reçu second au concours d’admission de l’École des beaux-arts de Paris en 1884, Bourdelle entre dans l’atelier d’Alexandre Falguière qu’il quitte deux ans plus tard.

En 1885, il s’installe à demeure dans l’atelier du 16 impasse du Maine – le musée d’aujourd’hui. 

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Au fond d’une cour en réfection du musée, presque recouverte de végétation, une tête apparaît. Celle de Maria Lani qui voulut être une star

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Cette femme qui hypnotisa Cocteau se fait appeler Maria Lani et elle est arrivée de Berlin, jeune actrice promise au plus bel avenir, escortée de deux hommes présentés comme son frère et son imprésario. Elle va tourner un film à Paris avant de prendre le bateau pour New York et s’installer à Hollywood. Le royaume du cinéma attend sa nouvelle reine.

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Tout a commencé par un article de Jean Cocteau paru dans le numéro 25 de «Pour Vous Cinéma», daté du 9 mai 1929. C’est la première apparition de la « star » dans la presse, alors qu’elle est arrivée depuis des semaines à Montparnasse. En effet, page 3, Cocteau publie douze portraits signés de grands noms et une sculpture de Chana Orloff faussement attribuée à Zadkine ! Elle a donc déjà rencontré Matisse , Van Dongen, Krogh, Chagall, au total, on le saura plus tard 45 peintres et 6 sculpteurs. Cocteau fait son travail de publiciste et nous raconte quelle émotion il éprouve en dessinant cette grande vedette de cinéma au visage si mobile qu’il faudra 51 artistes pour tenter de la cerner. Elle est installée sur une chaise, dans la chambre d’hôtel de Cocteau qui lui fait face sur une autre chaise, le stylo à la main car il refuse d’être considéré comme un peintre : il dessine. Un écrivain et son modèle. Il fera 14 portraits d’un trait léger et acéré.

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Le scénario du film qui a nécessité les 51 portraits de peintres et sculpteurs

Maria Lani

ses peintres

et le cinéma

Maria Lani qui inspira cinquante artistes célèbres par leur génie, leur talent ou quelque savoureuse originalité est née en Allemagne, d’une famille purement polonaise.

Elle travailla d’abord au Théâtre Reinhardt puis joua le principal rôle d’un film intitulé Destins que nous n’avons malheureusement pas encore vu en France.

Et voici qu’aujourd’hui Maria Lani dont Jean Cocteau a parlé avec tant d’émotion et de poésie est arrivé parmi nous. Sous la direction de Max Renco et Maurice Sachs, elle va commencer à tourner le grand film qui a exigé la collaboration de cinquante et un artistes célèbres.

Elle va commencer... Nous nous exprimons imparfaitement... Maria Lani et ses cinquante et une images vont entreprendre, à Paris même l’interprétation de ce film. Ses partenaires ne sont pas encore définitivement choisis mais dans quelques jours nous serons en mesure de révéler leurs noms.

Le scénario, fantastique, un peu dans la manière d’Hoffmann, est d’une originalité séduisante.

Un richissime collectionneur de tableaux est possédé de la manie suivante: il voudrait animer les tableaux des Maîtres à l’aide d’instruments d’optique. Jamais encore il n’a pu réussir.

Un soir, dans un music-hall il voit Jouer un sketch ou une jeune actrice étrangle une poupée. La nuit, le collectionneur éprouve une crise d’étouffement - son vieil asthme aggravé- et dans un cauchemar il croit voir la comédienne l’étouffant. Le lendemain, il la rencontre, s’éprend d’elle et bientôt il la fait peindre par ses peintres préférés. La jeune femme, Maria Lani en l’occurence,

le trompe avec son secrétaire. Les crises du vieillard vont croissant. Une nuit, il rêve que son procédé optique réussit, mais toutes ces créatures qui représentent la même femme sortent de leur cadre et se mettent à le poursuivre. Il fuit, toujours en rêve, arrive chez la comédienne et

la trouve avec son secrétaire. Furieux, il s’arme d’un couteau,, la frappe à coups redoublés. Dans son délire, il lacère toutes les toiles fameuses mais engageant sa tête dans la déchirure de l’une d’elles meurt étranglé.

La Meilleraye.

«POUR VOUS CINEMA»

9 mai 1929

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Personne ne verra jamais le film et pour cause. 

Maria n’est qu’une figurante dans la troupe de Max Reinhardt qui n’a jamais joué que les utilités et dans un film que personne n’a vu à Paris. 

A beau mentir qui vient de loin. 

Le sulfureux Maurice Sachs a pensé y mettre des dollars que cultive son oncle agent de change à New York. 

Il le dit, sans insister, dans son livre «Au temps du Boeuf sur le toit» Et sans citer un titre que personne ne connaîtra. 

C’est très vraisemblable puisqu’il a été le « secrétraitre » de Cocteau qu’il va duper et escroquer comme tous ceux qui se laissent approcher. 

Il passe sa vie dans les salons, les théâtres, les salles de rédaction, les cafés et les bars. Ce qu’il n’apprend pas, il l’invente.

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Printemps 1929

« Il s’est présenté, au milieu de Paris, deux étonnants personnages qui se nomment les frères Abramovicz. Ils sont les imprésarii d’une actrice extraordinaire, inouïe, que personne n’a vue jouer, Mlle Maria Lani et ils ont décidé de faire faire son portrait par tous les peintres célèbres de son époque. 

Ce qu’ils feront ensuite, précisemment, de ces portraits, nul ne le sait. Ils ne nous le disent pas très explicitement.

J’aurais cru que ces peintres très célèbres, riches, un peu méfiants comme sont les gens glorieux, refuseraient tout net. Eh bien pas du tout. 

Derain a fait deux portraits, Matisse trois, Segonzac, Rouault, Dufy, Dufresne, Waroquier, Vlaminck, Favory, Foujita, etc., tout le monde a travaillé, sauf le prudent Picasso.

Marie Laurencin a dit très justement:

« Prenez une de mes toiles et appelez-la: portrait de Maria Lani ». 

Les Abramovicz ont refusé avec galanterie.

(mais je crois que Marie Laurencin avait désiré qu’on payât ce tableau)..

Bref, on a Maria Lani par tout le monde, excepté Picasso et Laurencin, mais en revanche quartoze portraits par Cocteau.

J’ai vu Maria Lani qui est, en effet, irrésistible.

Ce n’est pas qu’elle soit régulièrement belle, mais elle a de la séduction. On fera d’elle, disent les Abramovicz, la plus grande star de l’époque.

Un des frères Abramovicz est apparu un jour en grand deuil; j’ai demandé à son frère la cause de tant de noiceur: « Il a perdu son père », m’a répondu le frère qui était lui-même fort allègrement mis.

Nous attendons les plus grands résultats de l’entreprise Abramovicz.

Maurice Sachs «Au temps du Boeuf sur le toit»

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Maria Lani photographié par Boris Lipnitzky

La seule certitude après cette opération totalement inédite dans l’histoire de l’art et des artistes, c’est que Maria aux 51 visages réapparaît sur les cimaises à défaut des écrans de cinéma. Cinq fois.

Cinq expositions en un an, c’est un record. Qu’il a fallu financer, comment ? Maria et ses complices ne se cachent surtout pas, ils s’exhibent comme s’ils faisaient de la « réclame » pour trouver des producteurs. 

Ils ne sont pas donc pas partis avec la caisse comme on pouvait le penser, stockant des toiles dont la valeur allait centupler. 

Seuls deux finaux n’ont pas marché dans la combine, Picasso qui habitait alors rue Schoelcher, donc à Montparnasse, et Marie Laurencin dont les tarifs augmentaient chaque mois et qui avait dédaigneusement proposé « prenez n’importe quel portrait – fusain ou dessins- et appelez le ‘Maria Lani’. » 

Elle voulait de l‘argent pour faire un original… Un Maria Lani par Picasso vaudrait 30 ou 40 millions de dollars aujourd’hui si l’on suit les dernières ventes de Sotheby’s.

1. Brummer, un ami de Max Jacob, expose les 51 portraits du 1er au 28 novembre 1929, dans sa galerie de New York.

2. Quelques jours tard les toiles et les sculptures sont à Chicago à la galerie Arts Club, du 3 au 17 décembre 1929. Alors même que l’Amérique est ruinée après la crise du 24 oct.

3. Maria franchit une seconde fois l’Atlantique pour s’exposer à la Leicester Galleries à Londres, août et septembre 1929.

4. Puis les 51 portraits passent la Manche pour les cimaises de George Bernheim à Paris, du 15 au 30 novembre 1930. 

5. Puis à celles d’Alfred Fleichtheim à Berlin, un esthète qui sait compter et qui vient souvent à Paris

livre  "la folle époque" de Crespelle

L’expo « ... de cette plus belle escroquerie de l’histoire de l’art » ( Crespelle), fut le dernier grand événement artistique parisien avant les années noires. Pierre Lazareff consacre une page aux « cent visages de Maria Lani » (il double la mise ! c’est le style de la maison pour faire un compte rond) dans Paris-Midi du 15 novembre 1930, le quotidien préféré de l’intelligentsia. Il interview longuement

« M.Abramowitch » qui se réjouit du succès de l’Ecole de Paris dans le monde entier. Le charmant caprice d’une jeune femme qui se dédouble à l’infini a séduit public et critiques. On ne parle pas de succès commercial et encore moins de film. Jean Cocteau reparle de la femme « dont tout le monde fait le portrait » et fait la préface du catalogue en évoquant une nouvelle fois la séance de pose où il fut hypnotisé. Comme s’il était une référence… Puis, la reine de Paris, pendant trois saisons, disparait après cette ultime démonstration, avec son frère et son mari. La star n’était qu’une petite sténodactylo de Prague. Une vedette postiche. Le trio embarque ses toiles. Mais Maria devait revenir à Paris, un peu moins hypnotique.

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